Autrefois le théâtre de toutes les extravagances, les événements presse semblent connaître une perte de vitesse, ou du moins une transformation importante. Cela nous pousse à nous interroger : l’événement presse a-t-il pour ambition de créer le « buzz » en offrant un spectacle de démesure, de transmettre une information ou de permettre le contrôle sur son image ? C’est ce que nous allons découvrir dans ce nouvel article de blog.  

La lente marche du spectacle

Retrouver le premier véritable événement presse de l’Histoire est tout bonnement impossible. J’ai lu parfois qu’il était attribué à Phineas Taylor Barnum et sa troupe de phénomènes, d’autres fois que c’était Thomas Edison[1] qui rassemblait des journalistes pour une démonstration de la Fée électricité, ou encore qu’on le devait à Edward Bernays, père des relations publiques modernes.

Les anecdotes concernant Edison sont à ce titre particulièrement truculentes : la légende voudrait qu’il organise une grande conférence de presse pour annoncer sa toute dernière invention… avant d’aller s’enfermer dans son laboratoire pour véritablement l’inventer ! Sur une note plus macabre, il était également connu pour électrocuter des animaux devant les journalistes afin de démontrer que le courant alternatif (promu par Tesla) était dangereux, à la différence de son courant continu.

Comme souvent quand il s’agit de faire un répertoire, les historiens s’intéressent avant tout aux aspérités, aux événements qui ont un impact parce qu’ils racontent quelque chose de leur époque.

En 1914, les ouvriers des mines des Rockefeller, dans le Colorado, se mettent en grève et des affrontements éclatent avec les services de sécurité. Cet épisode sanglant est connu sous le nom de « massacre de Ludlow ». Ivy Lee, père du premier communiqué de presse de l’histoire, est alors engagé, avec pour objectif d’améliorer l’image publique et médiatique de la famille Rockefeller. Il organise plusieurs visites auprès des familles et des mineurs devant des journalistes pour manipuler l’opinion médiatique. Bien entendu, le succès est au rendez-vous.

Si ces événements s’entremêlent et qu’il est difficile d’en isoler un comme le premier événement presse de l’histoire, c’est que leur finalité immédiate semble différer. Les spectacles de Barnum où la presse était conviée avaient une vocation publicitaire, proche du « buzz » moderne, si vous me pardonnez l’anachronisme. Ceux d’Edison étaient le vecteur d’un discours de marque, visant à annoncer un nouveau produit ou à conquérir – de manière agressive – des parts de marché. Quant à Lee, il œuvrait par son travail au contrôle de l’image de son client à travers une communication de crise. L’image de marque joue donc le rôle de dénominateur commun dans toutes ces anecdotes. Ces événements presse avaient pour objectif de transmettre, par une mise en scène, une identité de marque, tout en garantissant un certain contrôle sur l’image et la communication des entreprises.

Le pari de la démesure

Avance rapide jusqu’aux années 2000-2010. Force est de constater qu’il y a quelques années, les événements presse rivalisaient souvent de créativité… et de démesure ! Apple, par exemple, est célèbre pour ses lancements produits grandioses, devant un public composé de milliers d‘enthousiastes. Des produits suspendus dans les airs, des effets spéciaux dignes d’Hollywood, le tout orchestré à l’époque par le charismatique Steve Jobs… Dès 2007 et la présentation du premier iPhone, Apple entretient par ses événements presse une nouvelle manière de communiquer où la mise en scène d’un public acquis à sa cause, un jeu de teasing avec les journalistes et une annonce qui se termine par des promesses technologiques sans précédents. « C’est une révolution ! » fanfaronnait alors Steve Jobs.

L’événement devient alors spectacle à part entière. Encore plus intéressant, il n’est plus seulement un vecteur d’information ou un lieu pratique qui rassemble experts, porte-paroles et journalistes, il devient en lui-même une information qui lie l’entreprise organisatrice à des valeurs, à une culture, voire à une vision. C’est avant tout un moment d’expression de son identité qui tient plus du domaine du marketing que des relations presse. Apple n’a pas inventé son identité de marque (sobriété, efficacité, esprit de pionnier), mais l’a parachevée, associée à cette image d’Epinal d’un homme seul sur scène, dans un pull noir à col roulé. Toutefois, Apple a également été – volontairement ou non – à l’origine de l’obsolescence de ses Keynotes en rendant ces événements routiniers, en promulguant de multiples mises à jour produits qui ont fait l’objet de nombreuses critiques et en semblant se caricaturer un peu plus d’années en années.

Mais le concept a fait des émules et ces événements qui mélangent branding, événements presse et point de rassemblement pour une communauté se sont généralisés : Blitzcon, Google I/O, SpaceX Rocket Launch Events, Microsoft Surface Event, Samsung Galaxy Unpacked… Le marché de la Tech a emboîté le pas à la marque à la pomme et a choisi la surenchère – suite logique dans cette course à l’attention.

Aujourd’hui, ces événements ont désormais presque entièrement disparu. S’il fallait choisir une date qui marque ce déclin, ce serait probablement le 21 novembre 2019 à Los Angeles: Elon Musk demande à son designer en chef de tester le blindage de son Cybertruck et de ses vitres réputées incassables. Une boule de pétanque plus tard, le patron de Tesla, SpaceX et Twitter (désormais X) devient la risée du Net lorsque la vitre du véhicule utilitaire se fracture[2].

Néanmoins, la démesure n’est pas nécessairement une caractéristique maîtresse de tous les événements presse. Elle apparaît surtout par le biais de ceux qui font les gros titres justement parce qu’ils existent en tant que monstres médiatiques, véritables baudruches de communication qui ne cessent d’enfler et de capter toute l’attention des médias.

Raconter son histoire, contrôler le récit

Aujourd’hui, la plupart de ces événements ont migré en ligne. Ce n’est pas forcément un phénomène très récent, mais la pandémie de COVID-19 a probablement accéléré cette dématérialisation, transformant les événements presse actuels en occasions plus lisses et plus uniformes, mais aussi plus contrôlés.

Le temps où Edison électrocutait des animaux en conférence de presse est désormais bien loin. La question cependant demeure toujours là même : comment raconter une histoire pour diffuser efficacement une information et contrôler son image de marque ? Une partie du jeu consiste toujours à avoir une idée suffisamment originale pour capter ou détourner l’attention de la presse. En un sens, il s’agit presque d’un exercice de prestidigitation. L’une des difficultés des événements online réside dans l’uniformisation des approches. Une part importante de l’événement presse est le rapport au spectacle. La mise en ligne force un retour à la sobriété parce qu’à travers un écran, les choses apparaissent souvent plus fades. Apple continue d’être avant-gardiste sur le sujet avec désormais des annonces produits qui ont des ambitions cinématographiques (avec les moyens d’un blockbuster) avec pour acteurs principaux le CEO d’Apple Tim Cook et… Dame Nature !

Bien sûr, avoir une bonne idée qui s’appuie sur un principe interactif peut faire la différence et devenir le vecteur d’une expérience novatrice. Mais cette idée n’est jamais qu’un enrobage, un écrin de luxe destiné à promouvoir le plus important : une nouvelle information, une nouvelle histoire destinée à être racontée par de nombreuses personnes parce qu’elle porte en elle le germe d’un récit visant à mettre en avant l’image de la marque de manière contrôlée.

Une autre difficulté que rencontrent les organisateurs d’événements en ligne réside dans leurs coûts importants. En effet, les prouesses techniques nécessaires au bon déroulement d’un tel événement, dans le but de susciter l’engagement des journalistes et d’autres participants, nécessitent des efforts de coordination et de préparation considérables et peuvent entraîner des dépenses conséquentes. Alors, à une époque où la sobriété – énergétique, environnementale, etc. – reste de mise, n’est-il pas temps de revenir aux événements physiques dont la mesure reflète l’importance de l’information ?

Cela ne signifie évidemment pas qu’il faut faire l’économie d’une idée ou d’une approche originale, dans le but de piquer l’intérêt de la presse et du public. Toutefois, plutôt que d’opter pour la démesure et le grandiose, il est avant tout essentiel d’articuler ses événements presse autour d’une annonce ou d’une information claire dans le but de mieux contrôler son image de marque et le récit qui l’entoure.

Guillaume Le Postec

[1] https://www.newsmuseum.pt/en/spin-wall/first-press-release

[2] https://www.youtube.com/watch?v=05-KwA3IvMg