Il rêvait d’une carrière de créateur de bandes dessinées, il est finalement devenu journaliste spécialiste de l’informatique B2B, un métier qu’il exerce depuis maintenant plus de 25 ans. Yann Serra, journaliste au Mag IT – et bédéiste amateur – a répondu à nos questions sur l’impact du COVID sur la presse informatique et sur les entreprises IT et a partagé sa vision de l’avenir du secteur.

Racontez-nous votre parcours de journaliste en quelques mots…

Grand fan de BD depuis tout petit, j’ai eu l’idée lumineuse, à l’âge de 16 ans, d’envoyer mes dessins à la presse informatique naissante à l’époque. Le magazine Amstrad 100% a commencé à les publier quand j’étais au lycée, puis m’a progressivement intégré à son équipe de rédaction. Je suis devenu pigiste sur des sujets liés à l’informatique et aux jeux vidéo, avant d’être embauché en CDI par Posse Press en tant que rédacteur en chef de ses différents magazines (NDLR : PC Team, Login:, Palmtops), un poste qui m’a ouvert la voie de la presse informatique B2B. Par la suite, j’ai travaillé en tant que Grand reporter pour 01 Informatique jusqu’en 2013, grâce auquel j’avais la chance de pouvoir partir enquêter sur le terrain, puis comme journaliste spécialisé dans les sujets d’infrastructure, de stockage et de réseau pour Le Mag IT jusqu’à aujourd’hui, tout en pigeant en parallèle pour d’autres médias de la presse IT.

Comment votre passion pour la BD s’est-elle articulée avec votre métier de journaliste ?

Mon enfance a été bercée par Spirou et Fantasio. Au lycée, j’étais déjà connu comme « le dessinateur » et depuis, ça m’est resté. Après de nombreuses déconvenues dans mes tentatives de me faire éditer, j’ai bifurqué vers le métier de journaliste, tout en poursuivant ma passion avec la publication de mes BD par PC team puis par 01 Informatique. C’est pour ce magazine que j’ai inventé le personnage de Bobineau, un DSI dont on suit les aventures et que j’ai continué d’utiliser pour des projets de communication institutionnelle dans des plaquettes et des newsletters, pour communiquer par exemple sur le RGPD. Paradoxalement, ce sont ces projets qui m’ont permis de mieux gagner ma vie en faisant de la BD et même mieux qu’en étant pigiste ; ce fut, en quelque sorte, ma revanche sur ma carrière avortée de successeur de Franquin !

En tant que journaliste, comment la pandémie de COVID-19 a-t-elle impacté votre quotidien ?

En tant que fervent défenseur et pratiquant du télétravail depuis plusieurs années, le confinement et la crise n’ont pas changé mes habitudes de travail et j’ai continué à produire des articles tous les jours, à mon rythme habituel. En revanche, pour ce qui est de l’autre facette de mon métier, celle de partir en reportage pour couvrir des salons et des conférences à l’étranger, au rythme d’une semaine par mois en moyenne, là, tout s’est brutalement arrêté à mon grand regret ! Ces déplacements sont professionnellement très excitants, riches et créatifs, car ils permettent une immersion totale de plusieurs jours dans un sujet, à la rencontre directe de l’univers de l’entreprise organisatrice, de ses produits, de ses clients ; le décalage horaire agit aussi comme une couche immersive supplémentaire. Depuis la crise, j’ai dû me contenter d’événements virtuels et de conférences sur Zoom, qui ont certes le mérite de proposer une bonne alternative, mais n’offrent absolument pas la même expérience ni la même marge de manœuvre pour poser des questions et obtenir des informations originales. C’est très frustrant, car j’ai complètement perdu le plaisir et l’intérêt de l’enquête de terrain, au profit d’un rôle de vulgarisation d’informations et d’enjolivement de communiqués de presse.

Les entreprises IT ont-elles bien géré l’arrivée de la crise, du point de vue du business et de la communication ?

Du point de vue du rythme des annonces et des cas d’usage, je n’ai pas l’impression que le COVID ait bouleversé la situation des entreprises européennes, qui ont l’air de s’en sortir plutôt bien, sûrement grâce à la généralisation du télétravail qui a entraîné une augmentation des investissements des entreprises dans le renouvellement de leurs infrastructures informatiques.

En matière de communication, les nombreux événements virtuels auxquels j’ai été invité pour remplacer les événements physiques initialement prévus ne m’ont malheureusement pas convaincu ni apporté autant de valeur ajoutée. Dans la presse professionnelle, plus les articles sont détaillés et techniques, plus ils sont lus et utiles, car les lecteurs investissent dans des solutions qui valent plusieurs centaines de milliers d’euros, ils ont donc besoin d’informations précises pour se décider. Pour les écrire, j’ai besoin du maximum d’informations possible et le mode présentiel est véritablement irremplaçable pour m’apporter de la matière originale, intéressante et consistante à publier.

Quelles sont vos prédictions pour l’avenir du secteur IT B2B dans les prochaines années ?

Contrairement à ce que l’on peut croire, les évolutions de ce secteur ne sont pas soudaines ni disruptives, elles sont au contraire lentes et suscitent une inertie incroyable de la part des entreprises pour les adopter, par peur des répercussions négatives. Par exemple, je ne crois pas que les data centers disparaitront, ils vont simplement se transformer ; en revanche, je prédis la disparition d’Intel, d’ici environ deux ans. Je trouve aussi que le stockage est devenu le domaine de l’infrastructure le plus complexe : après être passé par du NAS au SAN, du stockage physique au cloud et au stockage objet, les fournisseurs mélangent maintenant les technologies entre elles. Les journalistes qui continuent de suivre de près ce secteur sont d’ailleurs de moins en moins nombreux, tant il est difficile de rester concentré et de tout comprendre. Enfin, il y a encore beaucoup de questions en suspens quant à la reprise économique de l’après-Covid : je pense qu’il faut s’attendre à ce que certains fournisseurs IT spécialisés dans les secteurs touchés par la crise, comme le tourisme ou le spectacle, soient malheureusement fortement impactés.

 

Interview par Elodie Buch