Il y a un peu plus de deux ans, nous avions échangé avec Serge Leblal, Directeur des rédactions du groupe IT News Info, dont Le Monde Informatique, sur son analyse du secteur IT et de la presse informatique professionnelle, six mois après le début de la crise de Covid en France. Le contexte était alors particulier, à l’aube d’un rebattage profond des cartes pour l’ensemble des acteurs concernés. C’est pourquoi je suis ravie d’avoir pu interviewer à nouveau Serge Leblal sur sa perception de l’évolution des choses, avec trois ans de recul désormais sur l’impact de la pandémie.
Il y a deux ans, lors de notre première interview, la pandémie de Covid avait commencé depuis environ six mois, et vous aviez dit : « Il faut rester vigilant, on ne sait pas de quoi demain sera fait et il faut poursuivre les efforts pour conserver une situation confortable ». Depuis lors, comment a évolué la situation de la presse informatique en général ?
L’épidémie a eu un effet d’accélérateur, à la fois en termes de choix de carrière – beaucoup de personnes ont pris des décisions professionnelles plus rapidement qu’elles ne l’auraient fait en temps normal – mais aussi en termes de chutes d’entreprises qui étaient fragiles.
Sur le marché de la presse, il y a eu beaucoup de rachats et de restructurations, mais aussi de nouveaux entrants. La difficulté principale aujourd’hui, pour la presse informatique professionnelle, c’est de réussir à embaucher des jeunes qui s’intéressent un minimum aux nouvelles technologies. Il a beau y avoir encore beaucoup de sujets à découvrir et des personnes intéressantes à rencontrer, devenir journaliste informatique nécessite un certain investissement personnel pour entretenir sa connaissance des enjeux IT qui sont de plus en plus complexes.
Ce qui est sûr, c’est que, contrairement à la presse grand public, la presse IT B2B ne rajeunit pas, il n’y a pas de renouvellement. Ce constat n’est pas spécifique à la France. Les sujets qui attirent les jeunes journalistes sont d’abord le sport, puis la politique. C’est compliqué de les impliquer sur nos sujets.
Maintenant que la pandémie est derrière nous, comment voyez-vous l’avenir de la presse informatique professionnelle et les prochains défis qu’elle rencontrera ou qu’elle rencontre déjà ?
Je suis assez pessimiste, même si je ne devrais pas. Le marché s’est reconcentré autour de deux ou trois acteurs de « première division », qui assurent une très bonne couverture des sujets et un travail de qualité, suivis par un grand nombre d’acteurs en « division Z ». Entre les deux, il n’y a pas grand-chose, c’est dommage.
En revanche, ce qui a changé, c’est le rythme avec lequel nous sommes sollicités pour participer à des événements presse : aujourd’hui, je passe davantage mon temps à dire « non » plutôt que « oui », parce qu’il y a beaucoup plus de sollicitations ces derniers mois, mais aussi parce que nous avons moins de temps à leur consacrer. À la rédaction de LMI, nous avons l’habitude d’utiliser un tableau partagé pour lister tous les événements auxquels nous étions invités et pour se les répartir ; mais même comme ça, c’est devenu mission impossible. Nous ne sommes pas assez nombreux.
Du côté des événements à l’étranger, ils sont beaucoup plus nombreux qu’avant l’épidémie. 2022 a été très dense, comme pour rattraper le retard des années Covid, et 2023 s’annonce très dense.
Il y a aussi une dérive post-pandémie avec des formats et des horaires d’événements qu’on n’aurait jamais vu avant, comme une conférence de 18h à 22h, pour s’aligner sur les horaires de la côte Ouest des États-Unis. Nous avons eu trop d’événements en visio et tout le monde en a assez. Et puis, rien ne remplace le fait de rencontrer les gens, de discuter en face à face.
Côté entreprises et fournisseurs, quelles sont les tendances que vous constatez ?
Il y a beaucoup de rachats pour acheter des technologies et gagner du temps d’innovation. De nombreuses sociétés spécialisées dans l’open source suivent cette voie mais ont du mal à monétiser leur plateforme. Pourtant, la génération de revenus devient de plus en plus importante sur le marché, notamment avec la hausse des taux d’intérêt, et les entreprises subissent davantage de pression pour pallier les difficultés d’emprunter de l’argent. Je ne dis pas que cette exigence n’existait pas avant, mais elle est plus prégnante aujourd’hui.
Concernant les innovations technologiques à surveiller, je pense à l’informatique composable ou désagrégée, qui va être une grosse tendance dans les dix ans à venir, avec CXL et sa version 3.0. Il sera également beaucoup question de multicloud et du « vrai coût » du cloud : les utilisateurs vont commencer à regarder de plus près leur modèle de souscription public comparé à un modèle cloud privé. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises françaises s’alignent sur cette tendance et cherchent à faire faire des économies à leurs clients.
Pour finir, quelle est votre recommandation culturelle du moment ?
La rétrospective Vermeer au Rijksmuseum d’Amsterdam qui a commencé il y a quelques semaines. Je vais essayer d’aller la voir quand je serai à la KubeCon en avril – car je n’ai pas eu le temps pendant le Cisco Live en février dernier.
Propos recueillis en mars 2023 par Elodie Buch