Si Ivy Lee et Edwards Bernays se sont intéressés à la communication externe, entre l’opinion publique et les entreprises, il ne faut pas oublier la communication interne au sein d’une entreprise.

Ainsi, pour notre dernière publication de cette série consacrée aux pères fondateurs des relations publiques, nous allons nous pencher sur la responsabilité sociale des entreprises à travers le travail de Lucien Matrat, le père des relations publiques européennes.

 

Lucien Matrat : « Plus l’entreprise grossit, plus elle arrive à s’abstraire du milieu au sein duquel elle exerce son activité et, de ce fait, son développement se trouve souvent freiné par une opinion publique mal informée. »

Les conseillers américains en matière de relations publiques ont donc réussi à transmettre cette idée : la communication entre le public et l’entreprise est essentielle. Mais qu’en est-il de la communication au sein même de l’entreprise ?

Au cours des trente glorieuses, Lucien Matrat s’intéresse à la responsabilité sociale des entreprises. Selon lui, l’entreprise doit répondre de ses actions et ses carences. Elle doit donc devenir une cellule sociale, dont l’objectif est d’aider au développement de la société. L’efficacité d’une entreprise ne dépend pas uniquement du progrès technique, elle est directement liée à sa structure sociale et, en matière de production, l’homme reste le facteur déterminant. En prenant de plus en plus d’importance, l’entreprise finit par s’isoler de son écosystème, ce qui renvoie une image négative aux citoyens et donc aux potentiels clients. Le fait de les informer des actions va permettre de rompre cet enfermement et de créer des relations de confiances entre la société et l’entreprise.

En plus de soigner ces relations extérieurs, l’entreprise doit aussi informer, former, intéresser et assurer la sécurité de l’emploi à son personnel, non pas pour être en conformité avec leurs droits, mais pour l’être avec leur besoin. De ce fait, l’entreprise est responsable et doit alors élaborer un bilan social : « Ce bilan montrerait ce que [l’entreprise] a fait sur le plan de l’information, de la formation, de la promotion ouvrière, de l’intéressement, de la sécurité de l’emploi, en d’autres termes de ses réalisations sociales et de ses actions pour améliorer les relations humaines à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise »

Ses théories sur la responsabilité sociale des entreprises ont été mises en application en 1965 dans le Code de l’éthique internationale des relations publiques dit le Code d’Athènes, un texte bien connu des services de relations publiques. Selon Lucien Matrat, la mission des professionnels de relations publiques consiste à répondre aux besoins intellectuels, moraux et sociaux des hommes. Cette même année, au sein de la doctrine européenne des relations publiques, il identifie les besoins et les devoirs des trois entités principales, à savoir la personne avec le besoin de dignité, le partenaire avec le besoin de participer et le fabricant d’opinion.

Cette doctrine marque une distinction nette avec la publicité (stratégie du désir qu’on déclenche) et la propagande (stratégie du conditionnement qu’on réalise). D’ailleurs, Lucien Matrat voyait d’un mauvais œil le fait que les attentes des entreprises concernant les relations publiques ne relèvent que des problématiques de promotion ou de publicité. « L’objectif des relations publiques est d’établir et de maintenir des relations confiantes avec l’ensemble des publics de l’entreprise, la presse étant considérée comme un public et non comme un support. » Il était convaincu que, pour accomplir cette objectif, les relations publiques devaient être une science de la communication centrée sur les sciences humaines tout en respectant une éthique particulière.

 

Biographie :

Né en 1907, dans l’Allier, Lucien Matrat est connu pour être le théoricien des relations publiques en Europe. Travaillant pour plusieurs grandes firmes françaises comme le groupe Elf, il fonde en 1955 l’Association Française des Relations Publiques et en 1959, la Confédération Européenne des Relations Publiques. En 1965, il participe à l’élaboration du Code d’Éthique International de praticiens de relations publiques. Tout au long de sa carrière, il soutiendra que les relations publiques sont une véritable science. Il décédera en 1998.

Que retenir de cette série ?

Cette série de publications a mis en lumière le fait que les enjeux rencontrés par les entreprises à la fin XIXe siècle sont toujours d’actualité, même si les entreprises ont désormais intégré les relations publiques et, plus largement, la communication au sein de leurs activités et y consacrent un budget conséquent. Si le travail des consultants en relations publiques a évolué, celui-ci repose sur les mêmes valeurs que ces pères fondateurs ont initiées.

 

Maëlys Trassaert