Bertrand LemairePour ce premier blogpost de notre série La parole aux journalistes, nous nous sommes intéressés au trop-plein d’informations que les journalistes reçoivent quotidiennement à travers des centaines d’emails et de communiqués de presse par jour. Nous avons interviewé Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef du site IT B2B CIO-Online.com et initiateur du fameux #CommuniquéIdiotDuJour sur Twitter, pour connaître son avis sur ce sujet très actuel.
Parlez-nous d’abord de cette institution qu’est devenu le « Communiqué Idiot du Jour » dans le milieu de la presse B2B : de quoi s’agit-il ?

Ça a commencé il y a environ 5 ans. Initialement, c’était un coup de gueule à force de recevoir des communiqués qui ne me concernaient pas. Nous étions plusieurs journalistes à avoir constaté ce problème, et c’est comme ça que ça a démarré. Quelques collègues journalistes, comme Stéphanie Chaptal, contribuent de temps en temps mais je poste la plupart des tweets contenant ce hashtag.
Certaines phrases issues de ces communiqués semblent exagérées : vous n’inventez jamais rien ?

Non, tout est vrai ! La plupart du temps, j’arrive quand même à comprendre la logique qui a fait que j’ai reçu tel communiqué de presse, comme ceux qui parlent de smartphones par exemple : ça touche à l’informatique donc je le reçois. Mais cela ne veut pas dire que le boulot a été bien fait pour autant. Et il y a effectivement des centaines d’études menées sur les DSI, et beaucoup d’entre elles sont délirantes – même pour faire une blague dessus, j’ai du mal.
Que pensez-vous de cette tendance actuelle de l’inflation du nombre de communiqués de presse envoyés aux journalistes ?

C’est une catastrophe. On en arrive à éliminer parfois trop vite les emails qu’on reçoit. On est tellement habitués à appuyer sur « Supprimer » que si le contenu ne paraît pas évident, on le supprime mécaniquement.

Il faut savoir qu’un communiqué a seulement une demi-seconde pour séduire, dans le meilleur des cas. Pour maximiser ses chances, il faut suivre quelques règles, notamment en ce qui concerne l’objet du mail qui doit être signifiant et clair. Il ne faut surtout jamais écrire en majuscule, car c’est illisible et assez agressif. Il ne faut pas non plus commencer l’objet de son mail par « Communiqué de presse », qui est trop long et prend déjà trop de caractères dans l’affichage. Je conseille d’opter pour « CP », d’ajouter le nom de l’entreprise, ou alors le titre du communiqué copié-collé.

Personnellement, je traite les cas clients en priorité, mais ça ne veut pas dire que je ne vais pas jeter un œil sur tout ce qui concerne les nominations, résultats financiers ou annonces produit. Je conserve ces informations dans ma veille technologique, pour les réutiliser plus tard dans des articles de fond. Il m’arrive aussi souvent de transférer des communiqués à d’autres journalistes pour qui ces informations sont beaucoup plus pertinentes et qui, bien souvent, les reçoivent moins que moi !

Il s’agit peut-être d’un problème de mise à jour des bases de données journalistes comme Hors-Antenne mais in fine, c’est aux attachés de presse de faire leur travail de veille sur ce que couvrent les médias et les journalistes ciblés, pour être le plus efficace possible dans leur travail.
Quel impact ces pratiques ont-elles sur votre travail ?

C’est principalement une perte de temps. Il y a aussi une perte d’intérêt qui fait qu’on n’a plus envie d’ouvrir les emails et qu’on devient moins tolérant. Certaines occasions nous passent sous le nez car on ne prend plus le temps de revenir sur un contenu initialement écarté, ni de se poser pour réfléchir à la façon de traiter au mieux l’information. Si on dépasse le fameux stade de la demi-seconde d’attention, c’est fini et on n’y reviendra plus.

L’autre conséquence, c’est que les contenus dans la presse IT B2B sont de plus en plus standardisés. Plusieurs raisons à cela selon moi : il y a tout d’abord une pression sur les équipes rédactionnelles, qui sont de plus en plus réduites, et à qui on demande de plus en plus de choses, de plus en plus vite. Cela s’explique aussi par une manière parfois contre-productive des entreprises de communiquer. L’exemple du contraste entre BNP Paribas et la Société Générale illustre très bien cette idée : la SoGé communique énormément, au point que je suis obligé de laisser de côté certaines actualités pourtant intéressantes. De l’autre côté, BNP ne communique jamais, au point que, lors des grosses pannes informatiques qui ont touché la banque en décembre et janvier derniers, nous avons à peine pu traiter l’information car nous n’avons eu aucune réaction de leur part à ce sujet.
Selon vous, quelle est la solution pour remédier au problème de trop-plein d’informations que vous recevez ?

Pour moi, seuls les filtres sur ma boîte mail fonctionnent vraiment. Mais idéalement, il faudrait surtout que les attachés de presse fassent preuve de plus de vigilance en amont. D’autre part, beaucoup d’agences de RP ont tendance à oublier qu’elles ont un rôle de conseil auprès de leurs clients : elles doivent leur expliquer qu’il n’est pas utile, voire contre-productif, que leur communiqué soit diffusé à des centaines de journalistes pour obtenir plus de visibilité. Si une agence promet à son client d’envoyer son communiqué de presse à une base de 20 000 contacts (et ça existe !), il vaut mieux fuir très vite ! Ce n’est pas les 20 000 contacts qui comptent pour qu’une entreprise réussisse sa stratégie de communication, mais plutôt les 2 ou 3 contacts pertinents qu’une agence possède. C’est ça qui fait une bonne agence de RP.

Propos recueillis par Elodie Buch