Dans quelques semaines, nous arriverons à la fin d’une nouvelle année marquée par l’épidémie de COVID-19, avec son lot d’avancées et de reculs en matière d’interactions humaines dans le milieu professionnel. Cette semaine, nous avons eu la chance d’interviewer Bertrand Garé, rédacteur en chef de L’informaticien, qui a répondu à nos questions concernant une activité qu’il connaît bien : les déplacements longue distance sur des salons professionnels, dans le contexte de la crise sanitaire depuis plus de 18 mois.

À quel point l’arrêt total des déplacements à l’étranger et l’impossibilité de rencontrer des CEO et porte-parole étrangers ont impacté votre travail et vos articles ?

L’impact de la crise est forcément négatif, car le contenu est effectivement moins riche et l’attitude des personnes qu’on interviewe n’est pas la même en visio que lors d’une rencontre en face-à-face. Le distanciel nous a empêché d’accéder à de l’informel, à des confidences et au langage corporel, et l’exercice est tout de suite devenu beaucoup plus rigide, avec un rendu assez neutre. Les liens qui se faisaient pendant les voyages avant le COVID n’existent plus.

Une interview, c’est avant tout un échange de confiance, mais l’utilisation de la visio fait perdre ce côté humain et spontané et se transforme souvent en partage d’écran avec un déroulé de slides, sans le pan relationnel, extrêmement important dans une interview.

 

Comment avez-vous rééquilibré votre organisation de travail depuis le début de la crise, pour compenser l’absence de déplacements ?

Il n’y a pas eu de rééquilibrage total, plutôt de la perte. C’est pour ça que, dès que les événements en présentiel ont repris, on a foncé sans hésiter. Les journalistes sont des éponges, qui prennent ce qu’ils ont à disposition, dont la visio quand il s’agissait de la seule possibilité de garder le contact ; mais c’était un choix subi et non une volonté de notre part.

 

Le retour au modèle précédent et aux rencontres en face à face est-il nécessaire ?

Oui complètement, et j’ai hâte de pouvoir y revenir. Notamment parce que notre métier consiste aussi à établir des relations de long terme – sans cela, nous sommes juste des correspondants – et que nous avons besoin de construire en continu la relation, qui est la base de notre métier. Sans le côté relationnel, il ne nous reste que la communication corporate standardisée des entreprises, qui nous est transmise de façon descendante, et qui ne nous permet pas de produire du contenu de qualité.

 

Selon vos prévisions, à quelle échéance peut-on espérer un retour à la normal en termes de déplacement et selon quel format ?

De manière optimiste, je dirais à partir de janvier, et de manière quasi-certaine, à partir de juin 2022 ; personnellement, j’ai déjà deux déplacements à l’étranger prévus dans les trois prochains mois. Et j’ai bon espoir que la situation retrouve le même format qu’avant la crise sanitaire, pour la bonne raison que les entreprises ont, elles aussi, besoin de créer et de maintenir le lien avec les journalistes qui parlent de leurs produits et pouvoir suivre l’actualité des médias, lesquels n’ont pas survécu à la crise, lesquels sont encore là…

Toutefois, la tendance que j’observe concernant les événements professionnels, c’est un choix de scinder les éditions, quand cela sera possible, entre les régions européenne, américaine et asiatique, pour donner une dimension plus locale et pouvoir s’adapter au contexte de chaque zone, dans cette période post-pandémie encore incertaine. Je me prépare donc à faire beaucoup de déplacements à Berlin et Barcelone l’année prochaine! (rires)

 

Pour élargir le sujet, quelle est votre analyse sur la presse IT à l’heure actuelle, son évolution, son état ?

A l’image de L’Informaticien, qui n’est plus un magazine mais devient un organisme multimédia, l’ensemble des médias s’alignent progressivement sur cette tendance et deviennent multimédias, ce qui signifie qu’ils intègrent à leurs activités les événements, les podcasts, le print et le web. La séparation des rédactions papier et web est révolue. Sans dire que c’est ce qui va les sauver de façon certaine, il est clair aujourd’hui que ce n’est pas la publicité mais la génération de lead qui fait vivre les magazines et leur permet de se développer. Ceux qui ne prennent pas cette voie ne vont pas forcément disparaitre mais sont voués à rester de “petits” médias avec un développement limité. Cette tendance est particulièrement marquée dans la presse IT, mais va se globaliser pour l’ensemble des médias et des secteurs.

 

Côté agences de relations presse et interactions avec les attachés, quelles bonnes pratiques conseillez-vous pour conserver une relation plaisante et efficace pour tous ?

Le terme “relations presse” est composé de deux mots. Sur le plan “presse”, il faut que les agences RP soient créatives pour pouvoir adresser le côté multimédia, c’est-à-dire aller au-delà du contenu du communiqué de presse et placer leurs clients sur d’autres canaux. Sur le plan “relations”, elles deviennent de plus en plus distantes, à part avec quelques agences qui sortent du lot. Je suis abreuvé d’une moyenne de 220 communiqués de presse par jour, envoyés par des agences qui “arrosent” large l’ensemble des médias sans faire un travail de précision. On a également de plus en plus affaire à des attachés de presse juniors qui ne comprennent pas leur sujet, alors que les attachés seniors sont mis en face du client pour donner confiance, ça devient dramatique. Depuis cinq ou dix ans, j’assiste à une paupérisation de la relation presse.

 

Côté secteur IT, quelles sont les tendances sur le marché qui vous intriguent le plus et que vous vous attendez à voir émerger prochainement ?

Le principal sujet concerne la cybersécurité, et, en toute logique, ce qui tourne autour des concepts de visibilité, d’observabilité, de monitoring et de suivi applicatif, pour savoir ce qui se passe. A plus long terme, il faut davantage regarder vers le quantique et le deep learning. Je ne vois pas d’autre grande rupture à l’horizon, en tout cas pas comparable avec celle qui a eu lieu il y a cinq ans, avec la généralisation du cloud.

Pour conclure, j’aimerais revenir sur ce concept de “nouvelle normalité”, utilisé partout, à tort et à travers : pour moi, la crise sanitaire n’a pas instauré de changement profond par rapport à avant, mis à part la façon de communiquer avec la généralisation de la visio, et encore ! Il ne s’agit pas d’un changement technologique, plutôt un changement sociétal et économique, mais qui n’ira pas plus loin s’il ne s’accompagne pas d’un changement de management et de l’émergence de nouveaux outils.

 

Propos recueillis par Elodie Buch