La qualité de vie au travail (QVT) est une préoccupation croissante en France. Depuis 16 ans, une semaine lui est d’ailleurs dédiée au mois de juin. En 2019, à cette occasion, plusieurs études ont été publiées, affirmant notamment que la QVT est un enjeu prioritaire pour 93% des entreprises ou encore qu’elle est jugée aussi importante que le salaire pour 73% des Français. En parallèle, des sociétés de conseil dédiées aux enjeux de QVT apparaissent sur le marché.

Si vous utilisez les réseaux sociaux ou suivez les tendances du monde professionnel, vous avez sans doute déjà croisé les mots Chief Happiness Officer (CHO), Wellness Officer ou encore Happyculteur. Autant de termes qui désignent une personne « chargée du bonheur au travail » au sein des entreprises modernes. Tout a commencé dans la Silicon Valley dans les années 2000 ; aujourd’hui, c’est une tendance adoptée par de plus en plus d’entreprises, qui engagent des professionnels pour améliorer le bien-être de leurs employés et traiter le problème de la souffrance au travail. Le nombre d’offres pour ce poste a d’ailleurs bondi entre 2014 et 2016 avant de retrouver une courbe de croissance plus mesurée.

Quel rôle et quels enjeux se cachent derrière les trois lettres CHO ? Les entreprises ont-elles tout à gagner à embaucher une personne dédiée au bonheur de leurs collaborateurs ? En bref, le métier de CHO est-il un « métier fictif » ou une innovation géniale au service des salariés ?

Chief Happiness Officer : l’amuseur de service ?

Quand on parle du métier de CHO, on a tout de suite en tête une image de clown qui se promènerait dans les allées d’un bureau avec un pistolet à eau et des Carambars, et dont le but serait de faire rire chaque employé avant de passer au suivant, sans tolérer la moindre absence de sourire.

Ce nouveau métier est difficile à bien comprendre au départ, sans savoir s’il faut plutôt l’associer à un chargé de communication, à un responsable des ressources humaines ou à un assistant de direction. Dans sa définition première, il s’agit d’une personne dédiée à l’animation de la vie d’entreprise, à destination de ses employés, pour égayer leur quotidien. Cela passe par des ateliers de yoga ou de méditation, des barbecues, des soirées karaoké, des cours de cuisine… Bref, toute activité inattendue et fun qui vient bousculer le rythme hebdomadaire de travail et créer une soupape de décompression dans le carcan professionnel souvent trop sérieux.

Ce type de management a pour but de remotiver les troupes, de prévenir les éventuelles contestations ou les cas de burn-out, et d’encourager les collaborateurs à s’impliquer davantage dans leur travail et plus largement dans les ambitions de l’entreprise.

Ou bien l’assainisseur en profondeur de l’entreprise ?

En creusant, on comprend vite que ce métier ne se limite pas à un rôle de « G.O. de l’entreprise », mais qu’il touche les fondements mêmes de son organisation. Un CHO peut par exemple être utile pour (ré)apprendre aux managers à être humain dans leur gestion des équipes, à remettre l’intelligence collective au cœur des pratiques, à optimiser les process ou encore à miser sur la communication pour désamorcer les problèmes au quotidien.

De ce point de vue, le CHO serait donc le grand “nettoyeur” de l’entreprise : en plus d’assainir les pratiques internes, il a pour mission de recréer du lien entre les collaborateurs, et de rapprocher les attentes des managers avec celles de leurs équipes – un défi ô combien complexe pour certaines entreprises.

Pour ces raisons, intégrer un CHO au sein d’une structure peut être compliqué à faire accepter, même si, selon une étude Lavazza et IFOP publiée à l’occasion de la journée internationale du bonheur en mars 2019, 89 % des Français de moins de 35 ans approuvent l’arrivée d’un CHO dans leur entreprise. Il est également important de ne pas tomber dans l’écueil selon lequel un CHO serait la solution à tous les problèmes existants.

Les dérives de la culture du bonheur au travail

Assurer le bonheur de ses salariés, c’est bien, c’est louable. Encore faut-il se demander quel en est le prix ? En effet, proposer aux collaborateurs des activités ludiques tout au long de l’année pour favoriser la détente au bureau peut vite servir de prétexte pour leur demander, en retour, des concessions sur leurs horaires de travail ou leur niveau d’implication dans leurs missions. Les dérives peuvent également apparaître en termes d’intolérance face aux attitudes trop négatives ou moroses. En somme, la présence d’un CHO pourrait instaurer une “dictature de la bonne humeur” planant sur les collaborateurs.

À l’inverse, les activités organisées par un CHO à destination des collaborateurs ne risquent-elles pas d’en faire des « enfants trop gâtés », qui finissent par ne plus dissocier travail et amusement et qui développent des attentes irréalistes au regard de leur employeur ? Les entreprises ne sont pas à l’abri de voir naître une génération de collaborateurs blasés, pour qui la seule motivation de venir au bureau sera bientôt le petit-déjeuner du lundi matin ou le cours gratuit de fitness du jeudi midi.

Pour aller plus loin, on peut se demander si le CHO ne serait pas l’équivalent humain d’un babyfoot ou d’un distributeur gratuit de boissons et de sucreries dans une entreprise ? Une sorte de cadeau de façade fait aux collaborateurs pour masquer des réalités moins reluisantes et détourner leur attention des vrais problèmes. Sans parler des pratiques de “happywashing” par certaines entreprises, qui brandissent la carte du bien-être au travail pour améliorer leur image à l’extérieur, sans pour autant faire de réels changements dans leur organisation interne ou leurs méthodes de management.

Pour bien comprendre le métier de CHO, il faut donc aller au-delà du terme « happiness » et de tout l’imaginaire qui l’accompagne et creuser davantage du côté des pratiques managériales. Comme on l’a vu, le CHO repense l’organisation et les pratiques internes, améliore le côté humain des dirigeants, tout en étant à l’écoute des petits problèmes de chacun et en y apportant des solutions. Une chose est sûre : les préoccupations autour de la qualité de vie au travail ne sont pas près de s’affaiblir, comme le montre l’apparition récente de ces nouveaux métiers en France, qui viennent faire de l’ombre aux CHO, comme les People Operations Manager qui travaillent généralement au département des RH et ont à charge de faciliter la vie quotidienne au travail pour améliorer la productivité. À suivre…

 

Elodie Buch